jeudi 6 janvier 2011

Marche arrière

Ouidah (Last Dance, Sarah McLachlan)

Un sentier de sable qui s'étire sur 4km, sous un soleil de plomb... Une belle balade en soit, mais empreinte d'une histoire sombre. Chaque petit grain qui roule sous mes pas me font mal à l'âme. J'entends le grincement des chaînes en écho. Un lourd silence, je regarde, mais je me tais. J'ai honte.

Un sentier de sable qui fut emprunté par plus de 2 millions d'hommes et de femmes qui, chaînes aux pieds, embarquèrent dans les cales de navires qui devaient les emporter vers le nouveau monde. Monde qui allait les exploiter, supprimer toute trace de dignité humaine.

Je suis blanche, mais je refuse de croire que j'ai peut-être une infime partie d'eux en moi, ces tortionnaires tâchés de sang "noir".

Quand on arrive à Ouidah au Bénin, on ne peut sentir d'un premier abord que la ville est porteuse d'un lourd passé. La ville ressemble à tous les autres petits villages croisés sur la route côtière. Après quelques kilomètres, un énorme monument en béton indique "Ouidah, citée historique". On emprunte alors une route goudronnée en mauvais état qui se dirige vers la mer et très vite, le passé colonial de cette ville ressurgit. Ouidah est la principale cité où s'établirent les Européens pour procéder à ce qui restera dans l'Histoire, avec un grand H, comme une immense opération de déportation d'êtres humains, la traite négrière avec un petit n.
 
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Tant qu'à être dans l'histoire, marche arrière jusqu'au secondaire avec Mme Bisaillon (ou votre prof d'histoire à vous). En 1492, Christophe Colomb arrive en Amérique. Filles du Roy et ex-prisonniers sont envoyés pour "repeupler" le nouveau monde. On leur offre la chance de refaire leur vie ailleurs et de recommencer à neuf... Or, les besoins de cette population sont grandissants et on nécessite davantage de main d'oeuvre pour produire plus. Et pourquoi faire soi-même ce qu'on peut faire faire par d'autre? Au début, on exploite les amérindiens, mais malheureusement, les "sauvages" ne tiennent pas physiquement les terribles conditions de travail qu'on leur impose et ils se rebellent. Alors les Portugais ont la géniale idée d'aller trouver leur "cheap labor" ailleurs. Ils deviennent les premiers importateur de main d'oeuvre africaine dés le début du 16eme siècle.

En Afrique, l'esclavage est un phénomène très ancien. Quand les Européens débarquent, ils commencent leur "magasinage" dans les villages côtiers pour se fournir en force de travail bon marché. Les Rois africains n'hésitent pas à vendre leurs prisonniers de guerre, les coupables d'adultère... Tous ces hommes et ces femmes emprunteront " la route des esclaves". Contre une arme de gros calibre, un Blanc peut espérer récupérer 15 hommes ou 21 femmes.
 
Cette "route des esclaves" n'est pas symbolique, c'est une vraie piste qui conduisait les esclaves vers les bateaux des négriers. Trajet macabre qui se divise en 5 grandes étapes...

La place des enchères
est le point de départ. Créée vers 1700 par le roi Ghézo qui tirait profit de la vente de ses prisonniers, ce lieu était le royaume du marchandage humain. De là, on enchainait les esclaves et on les dirigeait vers l'arbre de l'oubli.

Cet arbre, seconde étape sur la route des esclaves, joue le rôle de capteur de souvenirs. En tournant autour de l'arbre les esclaves sont sensés oublier leur pays et leur culture. Or l'Homme peut se résilier à perdre sa vie, mais pas à l'absence de ceux qu'il aime...

Ce rituel terminé, ils partent vers la case de Zomaî. Il s'agit en fait de plusieurs petits tombeaux dans lesquels les esclaves sont entreposés comme des bêtes en attendant l'arrimage des bateaux. Enfermés, dans une obscurité totale, on leur enlève sciemment tout point de repère afin de les désorienter et de limiter les tentatives d'évasion ou de rébellion. L'attente dans les cases de Zomaî pouvait durer 4 mois. Quand les navires étaient ancrés au large, on ouvrait les cases et on triait les corps.

Une majorité d'esclaves, mal nourris et malades, décédaient dans ces cases, mais leur corps n'était évacué qu'une fois les bateaux arrivés et jeté dans une fosse commune. On était satisfait de cette sélection naturelle, puisque seuls les plus robustes survivaient, et eux, étaient une marchandise de qualité.

Les rescapés étaient donc trainés pour une dernière purification vers l'arbre du retour. Les esclaves y réalisaient différentes cérémonies afin d'assurer le retour de leur esprit sur leur terre natale. Il faut dire que le peuple béninois était et est toujours fortement animiste, de là l'importance des symbolismes avec la nature et les âmes.
 
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Ce rituel complété, la dernière étape les emmenait vers un endroit à l'appellation particulièrement évocatrice : la porte du non retour. Cette porte est la dernière étape vers l'inconnu, c'est aussi la plus accablante pour les esclaves qui pensaient être dévorés par les Blancs. Les plus courageux (ou découragés) se suicidaient en ingurgitant du sable, en avalant leur langue ou en se jetant dans la mer afin de se noyer ou d'être mangés par les requins... Le cauchemar prit fin en 1848, après une première tentative d'abolition en 1794. Paraîtrait-il que les esclaves sont aussi des hommes... donc libres de droit!
 
Depuis, il existe au Bénin une porte du retour par laquelle une partie des anciens esclaves sont revenus sur leur terre d'origine. En 1995, l'UNESCO a reconnu le site de la route des esclaves comme un patrimoine mondial... Patrimoine de l'horreur et la déchéance des Hommes. N'oubliez pas, surtout n'oubliez pas.
 

1 commentaire:

  1. Ouf!!! que dire suite à cette lecture et la vue de ces images; l'instant est bien plus à observer un moment de silence et de réflexion, réflexion sur la nature humaine, sur ses convictions et motivations.

    "L'homme est capable du meilleur comme du pire, mais c'est vraiment dans le pire qu'il est le meilleur."
    [Grégoire Lacroix (dit Corbin)]

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