dimanche 5 décembre 2010

1+1 = 3 ou 4 ou les marches inégales de l’escalier sociétal

Chez les animaux, on perçoit une hiérarchie bestiale et des inégalités conséquentes. C’est la loi de la jungle, le plus gros et le plus fort gagne. Celui qui saura se battre, aura sa part du gâteau. Au Grand Hôtel, c’est Gérard (son petit nom d’occasion) qui est le patron. C’est le king des matous. Il est gras et bien nourri. Tous les minous se prosternent à son passage, le laissant accéder aux restes de table des clients occidentaux qui bouffent eux aussi beaucoup trop. Ensuite, quand Gérard a fini, les maigrichons squelettiques pourront, s’ils ont de la chance, goûter aux plats.

Les plus faibles meurent ou sont malades. Les plus ingénieux de tous s’adapteront et se transformeront pour survivre. Pas de pitié pour les mauviettes. Mauviettes qui portent souvent la marque du féminin. Et oui, le statut des femmes est encore précaire au Niger et l’égalité est loin de faire l’unanimité ou d'être répandue. Toutefois, certains hommes estiment que les tâches ménagères sont réparties équitablement. Ce qui suggère une lueur d'espoir. Mais, il faudrait peut-être revoir la notion d'équité puisque la plupart tiennent les propos suivants...
Un homme : «J’établis la prévision des tâches à faire et elle les réalise. J’ai acheté le balai, elle le passe. C’est 50/50. On partage tout.»

Sans vouloir tomber dans le trivial, il y a l’éternel et classique écart entre les riches et les pauvres. Or, ici les riches ne le sont pas forcément de beaucoup plus par rapport à la classe qui les précède. Dès qu’un Nigérien obtient une minime augmentation ou un privilège professionnel, automatiquement le « phénomène de la balloune » se produit. En fait, l’individu atteint de ce syndrome est tellement imbu de lui-même, à cause de cette impression de « pouvoir » nouvellement acquis, que sa tête enfle à vue d’œil et il plâne au-dessus de la populace. Passe-droit lorsqu’il y a une file d'attente, « après tout quand on est moi, on n’attend pas » et autres trucs illégitimes du même acabit. La personne se sent tellement supérieure qu’elle exerce cette supériorité sur les autres sans ménagement. S’en suit la cérémonie du portail et le port du sac-à-dos dans le bras des autres. Je m’explique. Ces deux derniers éléments peuvent s’imager de la façon suivante : l’individu X qui avait une situation précaire est maintenant incapable de tourner une poignée par lui-même et fait bien des chichis si on ne lui ouvre pas la porte à son arrivée. Dans la même optique, le port du sac à dos sur le dos n’est plus envisageable puisque les autres peuvent le faire à notre place! Finalement, il m’apparaît que les avantages dont jouissent les parvenus sont plutôt un « ratatinement » du cerveau au profit de l’expansion des poches du pantalon. Drôle de troc si vous voulez mon avis.

On retrouve ce même principe entre les employés et les professionnels. Les employés sont les femmes de ménage, les gardiens de maison, les serveurs, les chauffeurs de taxis, etc., alors que les professionnels sont tous les autres qui travaillent pour une entreprise privée ou pour le gouvernement ou pour une ONG. Et encore là, le plus grand prestige va pour le secteur privé qui est plus glorieux. Entre eux, les gens sont parfois très cruels. On ne manque pas de mépriser les moins nantis. « Ce ne sont que des employés, on les retrouve partout, ils sont remplaçables! »

Ainsi, on pourrait dire qu’il existe un système de caste dans le pays subsahélien. En effet, on n’offre pas de serrer la main à tout un chacun. Il faut respecter le rang. De même qu’on ne regarde pas dans les yeux nos supérieurs. J’ai d’ailleurs beaucoup de mal avec ce principe. Moi, ça m’énerve tellement de ne pas me faire regarder quand on me parle, je trouve ça insultant, mais paraît-il que c’est une marque de respect et de politesse. Enfin…

De toute évidence, on distingue aussi une bonne marge entre la qualité de vie des expatriés versus celle des Nigériens et c’est d’un œil critique que j’analyse ma propre situation. Voyons voir. Je suis de celles qui ont des employés, mais je ne les méprise pas, bien au contraire, ils embellissent ma vie quotidienne et j’en suis bien consciente. Je ne voudrais pour rien au monde qu’ils me quittent pour aller travailler ailleurs. Mais quand il s’agit de salaire, je ne suis pas très encline à donner une augmentation. Ayayaye, je me remets en question, mais pour l’instant toujours pas de réponse. Est-ce que parce que je suis étrangère je devrais payer plus? Après tout, le pays et son peuple sont mes hôtes, ne serait-ce pas normal que j’aie les frais d’une taxe de passage? Pourtant, lors des négociations, je ne bronche pas. Le salaire de mes employés est plus que généreux et je suis parmi les meilleurs employeurs. Par principe, je ne paie pas un prix nassara à la hausse. Je prends le bus à 100 francs comme tout le monde, la course de taxi est à 200 francs et les bananes à 500 francs le kilo. Un point c’est tout.

Encore entre ruraux et urbains, on voit de grosses dissimilitudes. Là, on approche de l’extrême pauvreté. On parle de moins de 2$ par jour pour vivre dans les campagnes où les périodes de soudure sont les plus sévères. D’un enfant à l’autre, les jouets diffèrent : chambre à air et bâton versus cours de seadoo sur le Niger. Qui s’amuse le plus, ça reste à voir.

Le fossé des écarts est partout pareil, personne n’est égal et plus on a, moins on désire l’égalité, on aime ce qui nous différencie. Même l’escalier au bureau est inégal. En effet, les « grimpeurs » doivent faire preuve d’adaptation d’une marche à l’autre, l’écart étant plus petit, plus grand selon la fantaisie de l’architecte concepteur. Chaque pas pour aller de l’avant est une surprise. Il faut toujours s’ajuster, mettre des efforts plus ou moins considérables pour parvenir à l’échelon suivant. Une fois monter, on regarde en bas et on a un sentiment de fierté d’avoir réussi sans trébucher. Pas question qu’on redescende et surtout pas question qu’on modifie l’escalier pour faciliter la vie des autres.

Comme quoi, les étapes pour être en haut ou en bas de l’échelle sociale diffèrent de façon aléatoire, sans justification certaine, tout comme dans le reste de la vie.


(Weight of the world, Alana Davis)

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